Sur les sentiers des Templiers : là où le trail retrouve son âme
Courir, vibrer, partager. Sur les chemins des Grands Causses, la 31e édition du Festival HOKA Les Templiers a rassemblé toutes les générations autour d’une même passion. Entre les victoires d’élite et les sourires des anonymes, l’événement rappelle ce que courir veut vraiment dire.
Il y a des week-ends où tout s’aligne. Un ciel bleu tendu comme une toile, des causses qui s’embrasent sous la lumière d’octobre, et cette foule compacte qui ne vient pas seulement pour courir, mais pour vivre. Les Templiers, c’est ça : un festival de trail où chaque foulée, chaque cri, chaque larme semble ajouter une note à une symphonie vieille de trente ans. Et cette année encore, la magie a opéré.
Le retour des chevaliers des sentiers
Jeudi, 14h. Sur la plaine herbeuse de Saint-Estève, la 31e édition du Festival HOKA Les Templiers démarre d’une manière qui en dit long sur son ADN : par le sport adapté. 149 participants venus de 13 IME de l’Aveyron, de l’Hérault et de la Lozère. Des jeunes, des adultes, certains timides, d’autres en effervescence, tous animés par la même joie pure : celle d’être là, de se sentir à leur place. Musique disco, mains levées, éclats de rire. À côté de moi, une adolescente bondit sur place avant le départ. Elle s’appelle Louna, 14 ans, de l’IME des Hermeaux. « Je cours pour quelqu’un qui ne peut pas venir« , dit-elle, sourire timide et yeux brillants.
Sur la ligne, le ciel s’ouvre sur la Puncho d’Agast, les parapentes dansent au-dessus des têtes. C’est un signe : les Templiers s’apprêtent à écrire une nouvelle page de leur légende.
Vendredi : Les causses, la brume et les héros du jour
À l’aube, le froid pique les doigts. Sur le causse, les lampes frontales percent les bancs de brume, et la terre respire encore la rosée de la nuit. Trois courses au menu : Endurance Trail, Intégrale des Causses et Marathon du Larzac. Trois monstres de pierre et de poussière qui tissent la toile de fond de ce vendredi mythique.
Le premier à inscrire son nom au palmarès du jour s’appelle Lilian Leroy, vainqueur du Marathon du Larzac en 2 h 39, devant Dan Aragon et Alexis Granneau.
Chez les femmes, la Belge Zoé Lumen s’impose avec un large sourire et la simplicité de celles qui savent savourer chaque instant.
Un peu plus loin, sur le parcours de l’Intégrale des Causses, le combat est rude. Quentin Sauvadon s’envole, la foulée fluide, les yeux rivés sur la Pouncho d’Agast. Il franchit la ligne en 5 h 27, suivi par Romain Berger et Sébastien Ledey. Chez les femmes, la victoire revient à Marine Place, qui lève les bras au ciel en s’exclamant : « C’est la plus belle course de ma vie, mais aussi la plus dure !«
Et puis, il y a l’Endurance Trail, monument du jour. 99,5 km et 4 300 m de dénivelé avalés par un Lozérien de cœur, Rémy Brassac. Neuf heures et demie d’un voyage intérieur, avant de s’effondrer dans les bras de ses proches, sourire éclatant, regard noyé d’émotion. « Cette victoire a une double saveur« , confie-t-il. « Je me suis blessé au printemps, j’ai douté jusqu’à la Salvage. Mais ici, tout est possible.«
Quelques instants plus tard, Agathe Bes, en larmes, franchit la ligne, vacillante mais radieuse. « C’est ma course de cœur, confie-t-elle. Je suis aveyronnaise. Être ici, c’est un peu revenir à la maison.«
Sur la ligne d’arrivée, c’est un chaos d’émotions : des corps cabossés, des bras levés, des cris, des silences, des larmes. Une phrase, lancée par un finisher, résonne comme un mantra : « C’est pour cette émotion à l’arrivée qu’on prend le départ des Templiers.«
Samedi: les Templières et la relève
Samedi, le festival change de tempo. Les allées du village bruissement de voix, les familles affluent, les enfants s’accrochent à leurs dossards comme à des trésors. C’est le jour du sport pour tous, des courses accessibles, des formats courts, mais pas moins intenses.
La Templière ouvre la danse : 7,7 km réservés aux femmes. Sur la ligne, on s’encourage, on rit, on se serre la main. Dans un monde où la performance est souvent une injonction, cette course est une bouffée d’air : une célébration du plaisir de courir, tout simplement.
Puis viennent les Troubadours, le Marathon des Causses, la Monna Lisa, la Boffi Fifty… Dix courses en tout, un flot ininterrompu de coureurs happés par la lumière des causses.
Et surtout, la nouveauté 2025 : le Junior Trail. 17,2 km réservés aux U20, 100 jeunes venus tester leurs limites dans le sanctuaire du trail français. C’est un succès éclatant, remporté par un nom à retenir : Flavien Brulin. Venu du vélo de route, le jeune homme trace sa ligne de vie entre deux mondes. « J’ai fait la différence sur la côte, raconte-t-il. C’est un bon chrono, mais surtout un bon moment. » Autour de lui, les regards brillent : la relève est là.
Dans le même temps, Jessica Brazeau, épouse de Jim Walmsley, remporte la Boffi Fifty. « Je ne m’attendais pas à une telle émotion, souffle-t-elle. Ce terrain me rappelle l’Arizona. » Le public, lui, n’a pas oublié son mari, présent cette année en spectateur bienveillant. Walmsley sourit : « Ici, tout est fun, plein d’énergie. J’adore cet endroit.«
Entre ciel et causses – la veille du Grand Trail
Le samedi soir, la tension monte d’un cran. Sous la grande tente du village, les conférences de presse s’enchaînent. Les élites sont là, détendues, rieuses, concentrées. Caitlin Fielder, victorieuse l’an passé, affiche un calme presque déconcertant : « Je n’ai pas d’attente. Juste l’envie de courir ici, de profiter.«
À ses côtés, Sébastien Spehler promet d’attaquer à partir du plateau, Adeline Martin rêve d’une revanche, Thibaut Garrivier parle d’équilibre, Marie Goncalves évoque l’émotion de courir « à la maison ».
Et puis, il y a cette deuxième conférence, plus grave, plus dense : le dopage. Sous la houlette d’Odile Baudrier et Gilles Bertrand, les organisateurs rappellent l’importance d’un sport propre. Autour d’eux, Christophe Bassons et Damien Ressiot parlent vrai, sans détour. « Le dopage, c’est une solution à un problème, un aveu de faiblesse« , lance Bassons.
Dans la salle, le silence est lourd, respectueux. On sent que le message porte. Les Templiers, ce n’est pas seulement un monument du trail. C’est un état d’esprit.
Dimanche – Le Grand Trail, le sacre et la légende
5 h 10. La place de Millau est noire de monde. Les frontales forment une marée d’étoiles. La musique d’Era s’élève, presque mystique. Gilles Bertrand prend le micro : « Vous êtes la clé des Templiers« . Puis le compte à rebours s’égrène. Les fumigènes rouges s’allument, la nuit avale les coureurs. Le Grand Trail des Templiers 2025 est lancé.
On les retrouve plus loin, à Peyreleau. Le village s’éveille sous un brouillard doré. Hugo Deck passe en tête, fusée solitaire, suivi d’Adeline Martin chez les femmes. À ce moment-là, le tiercé gagnant est déjà en place, mais personne ne le sait encore.
Au fil des kilomètres, la course se transforme en épopée. À Saint-André-de-Vézines, c’est Antoine Thiriat, 23 ans à peine, qui mène la danse. À La Salvage, il passe sans s’arrêter, le regard fixé sur l’horizon. Mais derrière lui, un autre homme se rapproche, patient, discret : Pierre Livache.
11 h 57. Il surgit au bout de l’allée, visage blême, yeux écarquillés. Il s’écroule, se prend la tête dans les mains. Pierre Livache vient de remporter le Grand Trail des Templiers 2025 en 6 h 45, au terme d’un suspense dantesque. Quelques secondes derrière, le Finlandais Juho Ylinen franchit la ligne, le souffle court, suivi par le jeune Thiriat, héros du renouveau français.
Chez les femmes, la bataille aura été somptueuse. Caitlin Fielder, impériale, signe un doublé historique (7 h 53), devant Marie Goncalves et Adeline Martin. Les trois se tombent dans les bras, épuisées, fières, belles comme le trail quand il raconte la vie.
Sur la ligne, les émotions se mélangent. Livache résume tout : ‘Je ne suis personne, et me voilà au milieu de ceux que j’admire. Rien n’est impossible.«
Au-delà des podiums : les Templiers, une aventure humaine
Mais réduire les Templiers à des chronos serait une erreur. Ce festival, c’est avant tout une aventure collective. Derrière les coureurs, il y a 1 300 bénévoles, infatigables, souriants, présents à chaque carrefour, chaque ravito, chaque sourire de finisher. « Un événement de cette envergure ne pourrait exister sans eux« , répète Odile Baudrier. Et elle a raison.
Cette année encore, les Templiers ont affirmé leur engagement éco-solidaire. La Belle de Millau, marche-course de 4,2 km au profit de la Ligue contre le cancer, a rassemblé 2 500 participants. Et le Templiers Social Club, né en 2024, continue de grandir.
Fanny Cottier, enseignante en activité physique adaptée, est à l’arrivée de la Templière. Autour d’elle, dix femmes venues du CADA de Sainte-Affrique, demandeuses d’asile, achèvent leur premier 7,7 km. Fatiguées, mais rayonnantes. « Il a fallu tout déconstruire, confie Fanny. L’idée qu’il faut être mince, rapide, parfaite… Ici, on apprend juste à oser. » Et quand on les voit franchir la ligne, main dans la main, on peut se dire que cette course-là est peut-être la plus belle du week-end.
Épilogue : Ce que les Templiers racontent de nous
Dimanche soir à Millau, les arches en bois se dressent encore sur la plaine. Les bénévoles replient les banderoles, les derniers coureurs passent en trottinant, sourire fatigué, cœur léger. Le soleil tombe sur les causses comme un rideau de velours.
Louna, Rémy Brassac, Agathe Bes, Pierre Livache.
Ces jeunes du Junior Trail, ces femmes du Social Club, ces bénévoles qui veillent comme des anges de poussière.
Les Templiers, c’est tout ça à la fois : la compétition et la communion, la douleur et la joie, la solitude et le partage.
Trente ans après sa création, le festival d’Odile Baudrier et Gilles Bertrand n’a rien perdu de son âme.
Il a grandi sans se trahir, gardant ce lien rare entre le sport et l’humain, entre la performance et la poésie.
La vallée de Millau s’endort. Dans le vent, on croit encore entendre le refrain d’Era et les applaudissements qui résonnent. Les Templiers 2025 se referment, mais la légende continue, là-bas, sur les sentiers des Grands Causses.
Photos: G. Bertrand, C. Quintard, G. Salem, Anastasia
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